L’Hôtel Georges d’Aulus-les-Bains (Ariège)

 Georges I ? Georges II ? ou Georges V ? Non, simplement Georges, comme le prénom de son fondateur, Georges Jacky.

Georges Jacques Frédéric Jacky (1806-1883) :

Cet Alsacien, né en 1806 à Niedersteinbach (Bas-Rhin), voyage au gré des engagements successifs auxquels l’amène son métier de mineur. Ses certificats de travail attestent de son passage dans les mines de Pontgibaud (Puy-de-Dôme), Levignac-le-Haut (Aveyron), Tuchan (Aude) puis Lercoul en Ariège. Un certificat de Baptiste Ané, maire d’Aulus, daté de janvier 1841, nous apprend que "George Jacky maître-mineur employé à la Core pour faire exécuter une galerie dans le roc et qu’il a dirigé avec autant d’adresse que d’habilité, a toujours mérité par sa bonne et honnête conduite l’estime et l’attachement des habitants". Pour juger de sa conduite et de l’attachement qu’elle a suscité chez les Aulusiens, les registres de l’état-civil d’Aulus mentionnent qu’en juillet 1841, il déclare une fille, Marie Joséphine, qui naît de lui et de Jeanne Bacque ; en août 1841, il épouse ladite Jeanne Bacque, fille de Jean Bacque voiturier et d’Anne Faur Serres (d’Ercé). Cinq autres enfants naîtront de ce mariage, les quatre premiers entre 1844 et 1848 en Espagne, (où Jeanne Bacque suit son mari, qui travaille toujours pour diverses prospections minières) et la "petite dernière" à Aulus en 1859.

Entre temps, Georges Jacky travaille à Barèges et Cauterets (1852-1854), Aix-les-Bains (1855-1856) pour des travaux de recherches et d’aménagement de sources minérales. Son intérêt pour le thermalisme l’amène tout naturellement à participer à l’essor d’Aulus dans ce domaine. Il travaillera à plusieurs reprises à l’avancement des galeries et au captage des eaux. Il achète des parts dans l’établissement thermal de l’abbé Bacque en 1855. Il obtient le " fermage " (c’est-à-dire la gérance) des bains Bacque et Dégeilh. Il fonde aussi son hôtel, un des tout premiers d’Aulus. On peut supposer que l’appellation " hôtel fermier " (qui figurait en façade), doit son origine au fait que ses propriétaires étaient, ou avaient été " fermiers des bains ". A moins que l’on ne rappelle par ce qualificatif l’origine fermière des produits cuisinés dans cette maison, qui n’a jamais été un palace, mais plutôt une simple pension de famille, " se recommandant par sa bonne tenue et ses prix modérés ".

Les étapes de la construction :

Dans le livre " Aulus-les-Bains et ses environs ",  Adolphe d’Assier écrit : "A cette époque (1865) on ne voyait dans le vallon, en dehors des deux rudiments d’établissement balnéaire (sic), qu’une seule construction, l’Hôtel Georges, bâti en 1857. C’était d’abord une simple maison qui s’est depuis successivement agrandie. ".Cette date de construction de 1857 est vraisemblable puisque Georges Jacky achète le terrain à Jean Galin Guillaumas le 22 octobre 1856, et l’autorisation de construire une maison d’une longueur de 12 mètres alignée le long de la voirie (chemin de grande communication n°7, de Soueix à Aulus) lui est donnée le 27 octobre 1856.

L’autorisation d’allonger le bâtiment lui est accordée le 26 novembre 1859, et il dessine en février 1860 le plan des travaux. Il s’agit de construire une grange (une "granche", dit et écrit sur ses carnets Georges Jacky, avec son léger accent alsacien !) qui sera adossée à une extrémité de l’hôtel, tandis qu’à l’autre on rajoutera une cuisine en rez-de-chaussée et des chambres dans les étages.

La troisième étape des travaux consistera à transformer cette grange en chambres, après avoir porté sa hauteur à celle de l’ensemble du bâtiment. Cette réalisation doit dater de 1866, puisque l’on peut encore voir cette date en relief en haut de la façade arrière, au ras du toit. On obtient alors un hôtel de longueur semblable à celle d’aujourd’hui.

Une nouvelle grange a dû aussi être construite, toujours adossée au bâtiment. Elle est citée dans un document qui décrit l’hôtel en 1875 : " La maison portant le n° 222 du plan, section A, au lieu dit Camp Redoun, est aujourd’hui l’Hôtel George... Cet hôtel se compose 1° d’un rez-de-chaussée comprenant deux cuisines, trois salons, un cabinet et une petite chambre. 2° De deux étages et des mansardes comprenant ensemble trente-deux chambres. 3° D’un grenier. Et 4° d’une grange qui s’élève à la même hauteur que l’hôtel et qui peut au besoin être transformée en hôtel ".

En revanche, on ne sait pas encore de quand date cette nouvelle transformation. Elle concerne la " quatrième partie ", celle qui a été démolie en 1997. Elle figure sur une carte postale de Chafré expédiée en 1907.

Un hôtel, une colonie de vacances, des appartements... :

En avril 1883, après le décès de Georges Jacky, son fils aîné Jacques, alors âgé de 38 ans, continue l’exploitation de l’hôtel avec sa femme Marguerite Itté (d’Ustou), qu’il vient d’épouser en janvier. Il travaille en cuisine depuis de nombreuses années. Jacques est déjà, depuis le 21 décembre 1875, le seul propriétaire de l’hôtel. Il a dû l’acheter à l’issue d’une vente organisée au tribunal de St-Girons, sur la demande de sa soeur Marie. Pressée de dettes, celle-ci a exigé le règlement de la succession de leur mère (morte en 1869) et cette affaire se termine par la " vente en licitation des biens de la communauté ayant existé entre Georges Jacky et Jeanne Bacque ". Mais Jacques devra toute sa vie tirer le diable par la queue, toujours empruntant et toujours remboursant, afin de payer à ses frères et soeurs leur part dans cette succession. Ses deux frères, Georges le menuisier, Emmanuel autre cuisinier, et sa soeur Mathilde ont émigré définitivement en Argentine. Les deux autres soeurs, Marie et Eugénie, se sont mariées et ont quitté Aulus.

Lorsque Jacques Jacky décède de maladie pulmonaire en 1900, sa femme Marguerite Itté se retrouve aux commandes de l’hôtel, secondée par sa sœur Marie Anne dite Maria. Sa fille Anna est âgée de 10 ans; restée célibataire, elle mourra à 27 ans en 1917. Le fils Georges (né en 1884) part alors en 1901 faire son apprentissage de cuisinier à Toulouse, puis Monte-Carlo, Bordeaux... Son mariage avec Abeline Gouazé en 1907 à Bordeaux ne reçoit pas l’approbation de sa mère. Le couple occupera plusieurs places dans différents cafés ou hôtels avant de pouvoir revenir travailler à l’hôtel Georges, au terme de la brouille familiale. Après la première guerre, les revenus de la saison d’été à Aulus ne suffisant pas à faire vivre toute l’année la famille, Georges partira à plusieurs reprises faire des saisons l’hiver dans d’autres cuisines. Marguerite Itté s’éteint en janvier 1934.

Pendant la période [1937-1940], Georges, sa femme et ses filles Georgette dite Marguerite et Abeline dite Anna ou Nanette, (le fils Jacques étant décédé à 18 ans en 1930) font marcher simultanément l’hôtel Georges à Aulus en saison estivale, et l’hôtel-restaurant " les Ailes " à Muret en gérance toute l’année.

Pendant l’occupation, la famille reviendra habiter l’hôtel Georges. Margot, jeune maman en même temps que jeune veuve de guerre, y emmène son petit Jacques, qu’on appellera Roger, comme son père.

Comme la plupart des hôtels d’Aulus, l’hôtel Georges vivra le tragique épisode de " l’hébergement " de juifs en résidence assignée, avant leur déportation. Les registres d’avril 1942 à février 1943 portent les noms, dates et lieux de naissance, professions, nationalités, dates d’arrivée et de départ d’environ 60 personnes.

Après le décès d’Abeline (en 1946), Georges et ses filles n’ont plus le courage de tenir l’hôtel. Il est transformé en 1947 en colonie de vacances pour deux locataires, un d’été et d’hiver. C’est à cette occasion qu’avaient été construites dans la cour de pittoresques douches et installations sanitaires collectives (rasées en 1993, en même temps que les garages). La famille se réserve un appartement, le montant des loyers devant assurer sa subsistance. Mais c’est sans compter sur le locataire de l’hiver, qui rompt le contrat au bout de deux ans environ, en cessant de venir, et de payer... La famille, dans l’impossibilité de récupérer l’hôtel, puisque le locataire de l’été n’est pas défaillant et ne souhaite pas renoncer à sa location, doit retourner prendre un établissement en gérance à Muret (le café des Pyrénées). On dit qu’il a fallu l’intervention d’un muretain influent, un certain Vincent Auriol, pour que le locataire d’été, qui était une association émanant de la police, accepte de quitter l’hôtel Georges avant le terme du bail, vers 1951...

L’hôtel va fonctionner à nouveau. Mais Georges Jacky meurt en 1952. Ses filles Margot et Nanette tentent de continuer sans lui. Elles doivent prendre du personnel, trouver un cuisinier, commander... L’expérience ne sera pas concluante, et vers 1954 ou 1955, il faudra se résoudre à abandonner la restauration et l’hôtellerie. Cette décision s’impose aussi puisque le jeune Roger (Jacques) se destine aux mathématiques et à l’enseignement.

L’hôtel est alors transformé en "appartements meublés" pour la location saisonnière. Les 32 chambres restent chambres ou deviennent cuisines, selon si elles donnent sur la rue ou sur la cour. Le confort est bien rudimentaire : un lavabo dans les chambres, pas d’eau chaude, les toilettes au bout des (longs) couloirs, un réfrigérateur seulement pour toute la maisonnée, au rez-de-chaussée, dans la cuisine des propriétaires... Mais l’ambiance est familiale et chaleureuse. Ces appartements se loueront l’été pendant plus de vingt ans. Puis Marguerite prendra sa retraite. (Nanette est morte en 1969). Les derniers clients, habitués et " irréductibles ", viendront une dernière fois en 1982, avant que la maison ne devienne une " simple " résidence secondaire !

 Fin 1997, de nouveaux travaux ont été entrepris, la nécessaire impulsion étant donnée par un nouvel Aulusien de cœur, mais d’origine alsacienne une fois de plus. Toîts, façades et volets : la maison fait peau neuve. A l’intérieur, si on trouve toujours une partie au charme " kitsch " des années 1960, la " tranche " de bâtiment datant de 1866 est entièrement rénovée et transformée en un appartement sur 3 niveaux, maintenant proposé à la location saisonnière.